“L’automatisation de l’industrie doit prendre en compte les spécificités culturelles françaises”

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Bruno Maisonnier, Fondateur et CEO - AnotherBrain

La France, un pays étato-consumériste dans l’impasse. C’est le constat, sans concession, posé par Jérôme Fourquet, dans une tribune publiée mi-mai dans Le Figaro et largement commentée. Le directeur du département Opinion et stratégies d'entreprise de l'Ifop s’inquiète de l’accroissement de l’endettement du pays et du déficit de sa balance commerciale. Le pays consomme, mais ne produit et n’exporte plus assez !

 

La diminution de la part de l’industrie dans le PIB français - de 23% à 13,4% ces quarante dernières années, là où la moyenne européenne est de 16% - illustre dramatiquement cette réalité. La présence en France de champions industriels, dans des secteurs variés comme le luxe, la cosmétique, l’aéronautique ou l’automobile, souligne pourtant l’attrait des produits français. En témoigne également l’augmentation des investissements dans la création ou la relocalisation d’usines dans l’Hexagone, alors que les crises ont révélé le besoin de regagner en souveraineté.

 

En 2023, la France a ainsi enregistré 31 créations nettes d’usines. Mais cette dynamique est menacée par le ralentissement économique actuel et la moindre quantité de travail fournie par les Français, comparée aux autres pays, alors même qu’il est plus que jamais nécessaire d’accélérer la transition vers une industrie 4.0, moderne et connectée. La seule qui puisse permettre aux entreprises industrielles françaises d’être compétitives. Mais pas seulement !

 

Une pénurie d’intelligence ?

 

Régulièrement, on se félicite de l’augmentation du parc de robots industriels installés dans les usines françaises. En ce sens, 2022 a été une année record : 7380 nouvelles unités, soit une hausse de 13% par rapport au nombre d’installations de 2021, selon les chiffres de l’International Federation of Robotics. Néanmoins, la France est à la traîne par rapport aux pays étrangers : le pays ne pèse que 7% des installations réalisées en Europe en 2021, contre plus de 28% pour l’Allemagne et 16% pour l’Italie. Partis d’une base installée inférieure aux autres, non seulement on ne rattrape pas, mais on accroit notre infériorité.

 

Autre sujet : l’intelligence nécessaire au déploiement de ces robots. Selon une étude réalisée en septembre dernier par la Fabrique de l’Industrie, 100 000 emplois industriels ne sont pas pourvus en France, pas par manque de compétences, mais du fait de la perte d’attractivité de ces métiers, souvent jugés pénibles et situés loin des grands centres urbains. Un constat partagé par Bpifrance, qui publiait ce 15 mai les résultats de son enquête “l’industrie et les territoires”.

 

“La main d'œuvre et la capacité de formation se trouvent en priorité dans les métropoles, riches en structures scolaires et universitaires, mais peu loties en foncier disponible. En revanche, des espaces libres sont en quantité importante en zone rurale et dans l’est et le nord du pays, largement désindustrialisés, mais souvent aussi davantage dépeuplés et sous-équipés”, pouvait-on lire dans l’article du Monde qui lui est consacré.

 

Le développement de l’industrie 4.0 en France passe par la résolution de cette pénurie d’intelligence. Une intelligence autant humaine qu’artificielle selon moi.

 

Chez AnotherBrain, comme chez Aldebaran en son temps, nous avons toujours été animés par une volonté : utiliser la technologie pour faire grandir les entreprises et leurs collaborateurs ; améliorer leur productivité et les libérer des tâches les moins valorisantes, les plus fatigantes et répétitives, pour qu’ils puissent se concentrer sur la résolution de tâches complexes, nécessitant de la créativité ou de l’empathie.

 

C’est cette volonté d’aider qui m’a poussé à créer Aldebaran il y a vingt ans, afin de donner naissance aux robots humanoïdes Nao et Pepper, bien connus des Français. C’est en voulant leur donner une intelligence digne de ce nom, parce que c’était nécessaire pour qu’ils soient réellement utiles, que j’ai ensuite fondé AnotherBrain, qui développe des IA bio-inspirées, capables d’apprendre sans supervision, sans gigantesques sets de data d’entraînement, sans connexion et sans fonctionnement en boîte noire, afin d’être embarquées dans tous types de produits et d’être manipulées par tous les opérateurs.

 

Honneur et créativité, moteurs des salariés français

 

Mais pour emporter l’adhésion de ces derniers, et faire en sorte que ces technologies prometteuses ne soient pas mises au rebut par manque d’utilisateurs, il faut être au fait des particularités culturelles propres à chaque pays. Car « manager » n’est pas une technique universelle, chaque organisation s’ancre dans une culture nationale très spécifique, dans laquelle il faudrait s’inscrire pour être le plus efficace. Et c’est encore plus aigu lorsqu’ il s’agit de faire évoluer son activité et de moderniser son outil productif. 

 

Une évidence à rappeler à l’heure où l’adoption de l’intelligence artificielle devient une nécessité pour rester compétitif, et peut provoquer des craintes légitimes chez les salariés.

 

Chaque société évolue dans un cadre façonné par l’histoire, et au sein duquel s’applique un ensemble de règles qui régissent la vie en communauté. Avec le temps, ces règles se sont érigées en véritables traits culturels, hérités du passé. C’est ce qu’avançait déjà Philippe d’Iribarne en 1989 dans La logique de l’honneur, avant de le rappeler en 2022 dans Le Grand Déclassement.

 

La France est imprégnée par des valeurs issues de sa longue et riche histoire, et les Français restent particulièrement soucieux de la reconnaissance qu’ils tirent de leur travail. “L’honneur du métier” est selon Philippe d’Iribarne un moteur d’engagement pour les salariés, au même titre que la liberté qui leur est accordée afin d’imaginer de nouvelles choses, de créer, de faire honneur à une tradition séculaire, qui a vu la France accoucher d'innombrables innovations et qui lui permet encore aujourd’hui de rayonner dans les secteurs de l’automobile, de l’aéronautique, de la cosmétique et du luxe.

 

Les salariés français ont un mal fou à trouver du sens dans les métiers trop processés, et cherchent à s’extraire du carcan des règles strictes afin de déployer tout le potentiel de leur talent individuel. De fait, et malheureusement, les pratiques managériales en France ont été importées des USA par les grands cabinets de consulting. La culture Américaine est une culture « contractuelle », qui a engendré des modalités de relations similaires dans leurs entreprises (« job description », « KPI », etc…) mais qui sont des fardeaux pour les Français et sont souvent vécues comme un manque de confiance. Il faudra bien un jour que l’on « formalise » un management à la Française, efficace et adapté à notre culture, pour enfin pouvoir lâcher notre plein potentiel.

 

C’est ce que nous avons pu constater chez AnotherBrain, en mettant à profit nos intelligences artificielles pour répondre à des problématiques de contrôle qualité chez les champions industriels français. Travail de robot confié à des humains s’il en est…

 

Un domaine dans lequel l’automatisation se développe afin de libérer les opérateurs des tâches répétitives aliénantes, et de répondre aux problématiques d’attractivité. Mais pour être acceptés et utilisés, les robots et les dispositifs de computer vision - qui sont les deux faces d’une même pièce, doivent redonner du sens au travail des salariés et leur permettre d’exprimer leur créativité.

 

Des chaînes de production des usines automobiles aux salles blanches des champions de l’aérospatiale, sans oublier les ateliers de manufacture des icônes du luxe… Ces nouveaux outils doivent rendre les salariés fiers : fiers d’utiliser des outils de pointe, d’écrire un nouveau chapitre de l’histoire de leur entreprise, et d’être les acteurs de la révolution industrielle en cours, qui s’annonce comme l’une des plus décisives de l’histoire de l’humanité.

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